Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Prophylaxie de la bibliophilose…


Cher Pierre,

On me dit que l'attrait grandissant pour le commerce des livres anciens dans les salles de vente rend la marchandise plus rare chez les libraires, que vous vous languissez d'une belle succession et présentez des symptômes inquiétants de dépendance aux livres.


Les envieux murmurent même que les libraires d'ouvrages anciens vivraient d'imagination et s'enivreraient de rêveries devant des ouvrages qu'ils ne posséderont jamais. Les braves gens !  On les calomnie, mais on les prend pour plus sots qu'ils ne sont en supposant qu'ils admirent les riches bibliophiles revêtus de leur seul prestige mondain alors que, mieux que quiconque, ils en connaissent la fragilité : ils présentent, comme eux, des signes de bibliophilose*…


Ce qu'ils adorent et vénèrent, en réalité, ce sont les grands noms de l'histoire de l'imprimerie portés par des éditeurs non moins remarquables. Je crois que vous avez un faible pour Simon de Colines… Le hasard vous fera peut-être rencontrer, un jour, un bel exemplaire à la vente à un prix décent. Je l'espère, en tout cas, pour votre prompte guérison ! 


Il ne faut donc pas s’étonner de votre mélancolie. Qu’ils se montrent courtois ou revêches, modestes ou plein de morgue, tous les libraires se troublent à l'évocation d'éditions rares ou de reliures somptueuses. Ils revoient, Baskerville, Bodoni, Cassandre, Didot, Elzevir, Frutiger, Garamond, Jenson, Morisson, Peignot, Plantin, ou même Cazin tombant sous le coup d'une balle perdue dans un passage parisien en sortant de son déjeuner…


Comme une volée d'oiseaux bleus et de papillons d'or, cent images étincelantes, autant de songes à paillettes tournoient dans la cervelle de leurs hôtes bienveillants. Les premiers symptômes de la bibliophilose sont en place. La maladie se traduit ensuite par une addiction au clavier de l'ordinateur, par la lecture compulsive de catalogues et, en phase terminale, par la recherche pathétique d’incunables sur « leboncoin.fr »…


D'accord, il se peut que le libraire résiste au virus mais cela est rare ! Seuls quelques professionnels analphabètes restent d'honnêtes commerçants uniquement attirés par le gain. Les autres font de folles enchères et survivent maladroitement. Avouons même que certains usent ordinairement du Fléty ou du Brunet comme d'une drogue afin de mieux se bercer des évocations du passé et de se perdre plus aisément en ravissantes flâneries parmi les rayonnages de leur bibliothèque.


C'est pour oublier la triste époque où nous vivons que le libraire se réfugie dans sa boutique et qu'il accueille avec un dilettantisme de raffiné le client de passage d'un salut cordial. Il sait, en fait, que son mal est fatal. La prophylaxie de la bibliophilose passe par l’achat de livres : le remède est le mal.

Seul un immortel peut aimer les livres sans risque pour sa santé… Votre dévoué. Philippe Gandillet

* M.L.C (Maladie littérairement contagieuse)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Faux pas de Maria Adolfsson (Doggerland 1)

Quatri�me de couverture C�est le lendemain de la grande f�te de l�hu�tre � Heim?, l��le principale du Doggerland. L�inspectrice Karen Eiken...