Et voici le deuxième billet de notre ronde Belgique-France -Bretagne
dans laquelle je danse et tournoie avec Anne(la Belge) et Somaja (la Française). Après "le grand Coeur" de Rufin, envoyé par Somaja et que j'ai beaucoup aimé, voici donc "la plage d'Ostende" de Jacqueline Harpman, auteure belge que je ne connaissais pas du tout.
L'histoire :
"Dès que je le vis, je sus que Léopold Wiesbek m'appartiendrait. J'avais onze ans, il en avait vingt-cinq... je lus ma vie sur son visage et d'un instant à l'autre, je devins une femme à l'expérience millénaire."
Prise ainsi par une passion que rien n'éteindra, Émilienne devra des années attendre son heure. Talentueux, beau, aimé des femmes, Léopold fait un mariage d'argent pour pouvoir se consacrer à la peinture. La jeune fille va lentement tisser sa toile, ne reculant devant rien, sacrifiant au passage quelques existences. Des années plus tard, après la mort de son amant, Émilienne désespérée, mais sans remords, demeurera certaine que c'était le prix à payer pour vivre sa passion.
Impressions de lecture :C'est donc l'histoire, très bien racontée, d'une femme qui ne recule devant rien pour vivre son amour. Quitte à blesser et faire du mal autour d'elle.
C'est d'ailleurs bien résumé dans la citation suivante :
"Il fallait être aimée par un homme qui ne me verrait pas avant des années et pour cela empêcher qu'il fût aveuglé par d'autres femmes ? Comment détourner son regard d'elles si je ne pouvais pas le diriger vers moi ?"(page 31)
J'avoue avoir eu quelques difficultés à entrer dans l'histoire, cette "chronique d'un amour annoncé" , qui plus est à la première personne, m'exaspéra dès le départ, et je trouvai le rythme lent...
Et puis...L'écriture m'a happée. Pourtant, on ne peut pas dire qu'elle soit très moderne, mais qu'elle est belle !
Jacqueline Harpman sait admirablement décrire les sentiments, le gris des âmes, le courage et la lâcheté, la raison et les faux-semblants. Et l'amour-passion, celui qui fait fi des autres.
On ne s'attache d'ailleurs pas à Emilienne, cette petite fille tombée amoureuse à onze ans et qui devient cette femme froide, très belle mais cynique.
Pourtant l'écriture de l'auteure fait ressortir son intelligence, sa soif de vivre, on perçoit sa beauté, on rit de son humour pourtant glacial et sans concession. Et son amour fou, cet amour d'enfant devenu celui d'une adulte déterminée, finit par nous faire vibrer.
" Cent fois, j' avais mis dans sa main tendue le tube de couleur qu'il cherchait : le moment était venu où c'est sur moi qu'il refermerait la main. Une exaltation sauvage m'envahit, j'eus une sorte de suffocation et fus sur le point de perdre connaissance. L'enfant mourut en moi."
Les personnages secondaires, dont Léopold, l'être aimé et amoureux, sont très bien campés, réalistes, tous manipulés par cette héroïne calculatrice.
A propos de Blandine, la femme de Léopold...
"Sans moi, elle serait restée une femme dont on ne parle pas (...) j'ai introduit la violence dans sa vie, j'ai fait d'elle une héroïne malheureuse : dans le train du retour, elle n'était encore qu'une promise et croyait que c'était à l'époux, alors que c'était au drame."
"Nous ne sommes pas maîtres de notre histoire : moi, j'ai décidé et elle a subi."
Et il y a tant de beaux passages, de petites citations poignantes et/ou troublantes, qu'on se prend à sourire malgré la froideur du personnage central.
" Elle avait son génie, il aurait éternellement des tubes de peinture à l'huile et des pinceaux dans les mains. Moi, j'avais mon amant.
Blandine avait la grippe."
La qualité de ce roman, tient, comme vous l'avez compris, essentiellement à cette écriture de l'auteure belge (l'histoire aurait pu tenir en deux fois moins de pages à mon goût !) qui manie l'analyse de l'être humain avec brio, Jacqueline Harpman est d'ailleurs psychanalyste. Elle nous entraine dans une histoire aux sentiments et passions exacerbés d'une plume fluide.
Le contexte de l'époque, où les faux-semblants et l'apparence comptent beaucoup, où la liberté des femmes passent encore par le mariage, est très bien évoqué. On est en Belgique, on se croirait en France.
En bref, un bien beau roman qui donne envie de découvrir l'auteure, et je remercie Anne pour ce beau choix. Je file relire le billet de Somaja que j'avais survolé pour ne pas être influéncée !
Vous pouvez lire les billets de Somaja :
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